FEUILLE du PIC (Programme International du Coeur ou du Citoyen)

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19 février 2018

La politique et la dictature




POLITEIA
 
pour la 
 
DÉMOCRATIE
 

 
L'ÉCOLOGIE 
 
TRAITÉ de POLITIQUE ALONSO



Chapitre : 1-4- Dictature

Selon Hannah Arendt, « le citoyen idéal d'un régime totalitaire n'est pas un militant convaincu, c'est quelqu'un pour qui la distinction entre vérité et mensonge n'a aucun sens. »1.

Ce citoyen modèle qui a perdu le sens du bien et du mal est instruit et instrumentalisé par le pouvoir en place, parce qu'on lui fait croire que l'injustice est un mal nécessaire, que son silence complice ou son engagement le préservera du mal infligé à autrui et lui apportera la reconnaissance des dirigeants. C'est ainsi que se sont propagés des idéaux comme le racisme et le nationalisme, qui ont fabriqué des serviteurs de l'indicible barbarie, que sont les guerres, l'esclavage, le colonialisme, les génocides, la « Françafrique » et la culpabilisation récente des étrangers de notre incapacité politique à faire le bonheur des gens. Un pas facile à franchir quand on sait que les civilisations gréco-romaines et chrétiennes papistes considéraient l'esclavage comme la condition naturelle des captifs de guerre, des prisonniers politiques ou de droit commun. Toutes les civilisations ont eu leurs esclaves, leurs indigènes ou leurs prolétaires corvéables à souhait. Les capitales au cœur des empires ont toujours vécu confortablement de l'extraction des richesses périphériques, qu'on appelait les « exactions » au Moyen Âge. Toute personne insoumise à la loi sacrée de l'État devenait un suspect, un hérétique, un révolutionnaire, un terroriste ou un barbare. C'est l'abandon du pouvoir par le peuple, qui fabrique le règne de la minorité sur la multitude asservie, quel que soit le régime en place.

La violence politique, financière et le militarisme participent à la formation de l'État, comme le montre Élodie Lecuppre-Desjardin2 : « La guerre au Moyen Âge en général (…) est un phénomène inhérent à la montée en puissance des États. » avec « la mise en place d'une structure fiscale régulière et la volonté de convaincre des sujets impliqués dans ces opérations militaires au long cours. (…) les résultats sur le long terme montrèrent que le discours affirmant la nécessité de défendre l'État contribua à imposer ce dernier. » « Le primat de la guerre (…) ne cesse d'être affirmé lorsque l'on considère les trajectoires des gouvernements européens de cette époque (…), qui articulent guerre, fiscalité et affirmation de l'État. » L'équilibre de l'État s'est construit au prix de désastres « économique et démographique ». Ce climat de violence généralisée poussait les populations rurales à prendre les armes pour se défendre des troupes ennemies, des bandes armées de mercenaires affamés en période de paix et des déserteurs affamés en période de guerre. Pour convaincre les seigneurs de faire la guerre, les chanceliers fondaient leur « requête sur des prolégomènes inspirés de la lecture des auteurs classiques tels Cicéron [106-43 av. J.-C.], Aristote, Lactance [250-325 apr. J.-C.], mais aussi Xénophon [vers 430-354 av. J.-C.] » - « Pour que la chose publique s'épanouisse, il faut que les intérêts du prince soient ceux du peuple et vice-versa. » - « La guerre du prince est l'affaire de tous, puisque c'est au nom de son peuple et pour la défense de ses terres que ce dernier risque sa vie et son héritage. »

On retrouve ce paternalisme souverain dans toutes les allocutions rhétoriques adressées aux délégués des États, auxquels le souverain ou son chancelier réclame des impôts supplémentaires pour poursuivre une guerre de conquête présentée le plus souvent comme étant une guerre de défense ; allocutions auxquelles – je précise - s'ajoutent aujourd'hui les prétextes des droits de l'homme ou humanitaires. Nous allons voir comment les gouvernements ont construit l'identité nationale autour d'un monarque conquérant. Jadis, la convocation de l'ost rassemblait tous les possesseurs de fiefs, tous ceux qui portaient les armes et les troupes permanentes. « Déserter signifiait mettre en péril la personne du Roi et ses sujets, nuire au Bien public ». Les erreurs stratégiques des Souverains et l'absence de ravitaillement en période de guerre, entraînaient des désertions massives de soldats, qui s'abattaient sur les populations des campagnes. En mars 1476, Charles le Téméraire demande d'« exécuter tous les déserteurs (enfants compris) ».3

Les peuples du monde entier du XXIe siècle paient toujours un lourd tribut à la guerre, alors qu'ils n'ont jamais aspiré à autre chose que la paix. La légitimité de la politique et du droit doit cesser de reposer sur le paradigme de la violence. La montée en puissance de l'État a toujours été contraire au bien-être des populations. Le droit et le monopole de la violence doivent cesser de servir un État qui use de la fiscalité pour piller et soumettre les vraies Nations. Les Rois étaient avant tout des chefs de guerre et les fonctions de chef des armées et de Chef de l'État restent souvent confondues. Le régime d'exception prévu par les constitutions lui attribue temporairement les pleins pouvoirs régaliens, comme le pratiquaient les Romains. Le protocole qui accompagne l'exercice du pouvoir exécutif est chargé de signes extérieurs d'appartenance comme dans l'armée : drapeaux, Marianne, médailles, décorations, salut, vêtements. Auxquels s'ajoutent les monuments aux morts, les cérémonies des anciens combattants, les défilés militaires du 14 juillet, etc. En dictature, les marques de fidélité à la patrie, à la doctrine et au Chef sont encore plus visibles, parce qu'elles sont imposées à toute la population qui doit les arborer quotidiennement pour ne pas être suspectée.

La dictature exerce la terreur sur la population afin de briser toute forme de résistance à son autorité. Le peuple est rééduqué et doit acquiescer le pouvoir imposé. L'Inquisition catholique, à partir du XIIIe siècle, est l'une des premières terreurs d'État. La Terreur jacobine apparaît sous la Révolution française de 1793 à 1794. La Terreur rouge soviétique de 1918 à 1920, sous Lénine, est un tremplin à la dictature à la Grande Terreur stalinienne, qui a sévi de 1937 à 1938.

Le penchant naturel de l'homme à vouloir dominer ses semblables et les autres peuples fait que les dictatures surgissent parfois au cœur des démocraties. Les dérives autoritaires dictatoriales arrivent bien souvent dans une période de crise économique qui fait peur et renforce le nationalisme avec l'illusion qu'une autorité centrale forte est nécessaire. Des opportunistes arrivent au pouvoir avec la propagande en désignant un ennemi intérieur ou extérieur permanent responsable des malheurs du peuple. Dès lors, l'économie de guerre se met en marche et il suffit d'une étincelle pour déclencher une guerre extérieure, qui fait le bonheur des lobbies d'armement.

La naissance du régime totalitaire allemand des années 1930, montre que la montée de la dictature dans un régime initialement démocratique repose sur une quantité de facteurs, que je propose d'analyser ici pour mieux comprendre notre présent. Remontons à l'Allemagne de 1871, quand Bismarck victorieux met en place une monarchie constitutionnelle. A priori, on note une évolution dans l'exercice de la démocratie, parce que le Parlement (Reichstag) est élu au suffrage universel direct masculin et au scrutin proportionnel. Rappelons que le scrutin proportionnel intégral peut permettre aux plus petites formations politiques d'être représentées au Parlement, ce qui force les députés au débat consensuel et aux compromis, qui sont censés aboutir à des décisions capables de satisfaire le plus grand nombre. Mais cette politique prend du temps, elle est l'opposée de celle d'un dictateur, qui considère le Parlement comme un obstacle à l'efficacité de sa politique, sauf quand il en fait une chambre d'enregistrement de ses directives. En 1871, la fin de la guerre franco-prussienne fait que la France paie de lourdes indemnités à l'Allemagne, qui favorisent le développement économique de l'Empire allemand qui commence la même année et prend fin avec la défaite allemande de 1918. Cette défaite conduit l'Allemagne à plus de mesures démocratiques.

La Constitution de Weimar inaugure la République du même nom le 31 juillet 1919. Le mode de gouvernement adopté possède un meilleur équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif que le précédent, puisque le Président n'est plus désigné par un empereur, mais par les parlementaires, qui sont élus au suffrage universel, avec en plus le droit de vote reconnu aux femmes. Les contre-pouvoirs permettaient à 2/3 des parlementaires de demander un vote populaire pour destituer le Chancelier du Reich. De son côté, ce dernier pouvait avoir recours au référendum populaire pour s'opposer à une décision du Parlement. De plus, si 1/10e des citoyens l'exigeaient le peuple devait se prononcer par référendum sur un projet de loi. Un des désaccords portait sur la manière de limiter l'hégémonie de la Prusse. Hugo Preuss voulait découper son territoire en dix länder4 pour l'affaiblir. Le sociologue Max Weber (1864-1920) misait de son côté sur l'équilibre des deux pouvoirs avec une prédominance de l'exécutif sur le Parlement. Effectivement, Weber dans Parlement et gouvernement dans l'Allemagne réorganisée (1917), prônait « la démocratie plébiscitaire » avec un chef charismatique élu par le peuple.

L'élection au suffrage universel de cet homme providentiel était censée le soustraire à une désignation par les « notables » qui siégeaient au Parlement. Le Parlement conservait une simple fonction législative, face à un puissant exécutif incarné par le Président. Notons au passage que c'est ce qui se passe actuellement dans notre régime présidentiel avec notre Président Emmanuel Macron, qui gouverne à coups d'ordonnances, qui veut réduire les représentants de l'Assemblée et du Conseil et du Conseil Économique, social et environnemental. Une autre théorie de type absolutiste de la puissance étatique, celle de Carl Schmitt5 (1888–1985), a pour antécédent lointain la théorie du régime royal absolu de Jean Bodin (1529-1596), dans laquelle le monarque gouverne sans aucune norme juridique ; et pour antécédent plus récent Sieyès6 et Weber. Dans la conception du pouvoir césariste wébérien, « est souverain celui qui décide de l'état d'exception » (Théologie politique, 1922). Je précise que cet attribut est dévolu au Parlement ou au Chef de l’État selon les Constitutions. Smitt va encore plus loin en théorisant le « décisionnisme » absolutiste, qui est un régime dictatorial permanent. Dans ce régime, l'état d'urgence temporaire cède à la dictature permanente pure et simple, pour s'opposer à un éventuel ennemi extérieur ou intérieur. Dans La dictature (1921) et Théorie de la constitution (1928), Schmitt reprend les visions de l'abbé Sieyès, fervent révolutionnaire de la première heure, qui a fini par renoncer au pouvoir constituant7 pour sauver la révolution assiégée de l'intérieur et de l'extérieur. Persuadé en 1799 qu'un général pouvait sauver la Révolution, Sieyès instaure avec Napoléon Bonaparte le Consulat.

L'Allemagne d'entre les deux Grandes guerres n'était pas dans la même situation. Schmitt voyait dans la forme révolutionnaire de gouvernement, s'incarner la souveraineté du peuple. Pour que le Président règne sans partage, il fallait s'affranchir du Parlement. Ce cap est franchi en Allemagne en 1930, alors que la « crise » venue des États-Unis la frappe de plein fouet, avec l'inflation galopante, les faillites bancaires et industrielles, l'explosion du chômage de masse, etc. Du pain béni pour l'état d'urgence, le populisme et la montée du nationalisme et du Parti nazi. En 1932, le régime d'exception est introduit dans l'article 48 de la Constitution de Weimar en signant son acte de décès. Hitler est nommé chancelier le 30 janvier 1933 après avoir gagné les élections.

La leçon de cette histoire est qu'aucun peuple ne doit faire confiance aveuglément à un homme providentiel ou à un chef militaire, comme Napoléon, Hitler ou de Gaulle. La frontière à ne jamais franchir dans l'équilibre des pouvoirs établi par la Constitution est de donner le pouvoir de faire la guerre ou de légiférer à l'exécutif (ordonnance, décret-loi, projet de loi, article 49-3). Dès lors, ce n'est plus la volonté générale exprimée par l'Assemblée élue par le peuple qui mène la politique de la Nation, mais une oligarchie au service des intérêts privés ; comme le fait Macron depuis son élection en mai 2017. La démocratie demande du temps, un projet de loi doit être discuté, voire amendé avant d'être approuvé par le vote. Depuis les attentats survenus à la fin 2015, la France est en guerre (propos du Président Hollande) et le Gouvernement poursuit un état d'urgence renouvelé jusqu'en novembre 2017. Cette décision aurait dû faire l'objet d'un référendum, car elle est contraire à l'État de droit exigé dans une démocratie. Ces mesures d'exception sont du pain béni pour les partis d'extrême droite, qui entretiennent l'exclusion et la haine des étrangers, en détournant les raisons des problèmes de notre société, du sous-emploi, et nos chances d'y remédier. De plus, les principales mesures liberticides de l'état d'urgence ont été transcrites dans la loi en octobre 2017, ce qui dénote que la France tourne le dos aux réformes utiles. Quand un peuple travaille dur et ne cesse de s'affaiblir, c'est que les richesses qu'il produit sont détournées par des profiteurs qui bénéficient de la protection du droit. La seule solution est de renverser le gouvernement par les urnes ou la désobéissance civile, d'élire une Assemblée constituante, de demander l'établissement de cahiers de doléances, de réécrire une Constitution pour annuler les lois scélérates, sans retomber dans les travers de la Révolution de 1789, qui a ravi une nouvelle fois la souveraineté du peuple français, en instaurant le gouvernement des riches, pour les riches, par les riches. 

Debout citoyennes et citoyens ! Debout la démocratie !

Notes :
1- Hannah Arendt, citée par le philosophe Jérôme Ferrari, dans l'Humanité du 24 mars 2017.
2 - Les citations qui suivent sont tirées de son livre, Le royaume inachevé des ducs de Bourgogne, Élodie Lecuppre-Desjardin, Belin, 2016. (145)
3- Fin de citation de Lecuppre-Desjardin.
4- « Länder » est le pluriel de « land », qui désigne en Allemagne, un des 16 États indépendants fédérés, qui possède sa capitale. Berlin, Brême et Hambourg sont à la fois des Länder et des capitales.
5 - Carl Schmitt (1888–1985) était un théoricien et professeur de droit engagé dans le Parti nazi dès 1933. Sa doctrine juridique du décisionnisme a inspiré le Reich sous le régime nazi. (w)
6 - Homme d'Église, vicaire général à Chartres et politicien sous la Révolution française, Emmanuel-Joseph Sieyès, dit « abbé Sieyès » (1748-1836), est député du tiers état de Paris, sa brochure révolutionnaire, Qu'est-ce que le Tiers État ? (1789), le rend célèbre. C'est lui qui convainc les députés du tiers état de se proclamer Assemblée nationale le 17 juin 1789. Il préside l'Assemblée des Cinq-Cents après le coup d'État du 4 septembre 1797 contre les royalistes devenus majoritaires dans les deux Assemblées. Membre des cinq directeurs sous le Directoire, croyant la République condamnée à cause des palabres du « gouvernement des avocats », il participe à l'ascension de Bonaparte en politique. (herodote.net)
7 - L'Assemblée constituante est formée de députés élus par le peuple. Ce pouvoir constituant, qui a en charge d'établir une constitution, désigne un comité de rédaction ou de révision de la Constitution. Le pouvoir constitué est celui qui est élu pour gouverner. Ces expressions reprises en 1789 en France datent de la Constitution fédérale américaine de 1787.