Les mafias financières – Fin des démocraties représentatives
« Goldman
Sachs, la banque qui dirige le monde »,
titre d’un documentaire diffusé par la chaîne Arte*, me fait
reprendre la plume.
Tous les États de droit ont sécrété des organisations criminelles
qui les parasitent de l’intérieur. Mais l'équilibre des sociétés
est menacé quand le ver devient plus gros que le fruit.
Initialement, seules les organisations criminelles terroristes poursuivent un but
idéologique ou politique. L’objectif premier des mafias est
d’échapper à la pauvreté, mais celui des banques d’affaires
est la pure expression de la cupidité. Si ces organisations n’ont
pas pour objectif la conquête du pouvoir politique, elles ont
néanmoins infiltré les gouvernements tels l'État fédéral
américain et les organisations internationales comme le FMI, la
Banque mondiale, la Banque européenne, etc.
Le
montant annuel de l’argent blanchi
dans les paradis fiscaux était estimé à 3000 milliards de dollars
en 2006 ; ce n’est que le haut de l’iceberg. Dans de
nombreux pays environ 70% des transactions financières se font en
dehors du circuit bancaire classique. Rappelons qu’un paradis
fiscal n'impose pas ou très peu les revenus, et/ou pratique le
secret bancaire. Le premier patron de France, Bernard Arnault, qui
possède la plus importante fortune européenne, sait pourquoi il
demande la nationalité belge. Andorre, la Belgique, les îles
Anglo-normandes du Royaume-Uni, Le Liechtenstein, le Luxembourg,
Monaco, la Suisse sont des paradis fiscaux. Le Liechtenstein par
exemple - qui est membre de l’Union européenne - compte 34000
habitants et environ 80000 holdings. Son PNB par habitant est l’un
des plus élevés du monde. A côté des mafias secrètes, des
paradis fiscaux qui existent toujours - en dépit des grandes
déclarations de nos politiciens - des organisations criminelles
bancaires contrôlent de leur côté des flux de capitaux immatériels
depuis les grandes capitales financières : Wall street à New
York, la City à Londres, Paris, etc.
Toutes
ces entités parasites se
nourrissent du travail et des richesses produites par les sociétés
de droit constituées de gens normaux comme vous et moi, pour qui
l’impunité juridique n’existe pas. Certaines banques d’affaires
sont les auteurs de la « crise financière » et des
crises économiques, sociales et politiques sans précédent qui ont
suivi. Ces banques ne recrutent pas en prison dans l’univers du
banditisme classique, mais des cols blancs, de préférence des
mathématiciens sortis des plus prestigieuses écoles. Les recrues
sont embauchées pour opérer dans un univers légal mais immoral,
celui de la finance ou des marché d’actions. Elles s’appuient
sur la dérégulation financière, les nouvelles technologies de
communication, l’ouverture des économies sur le monde, la
sophistication des marchés financiers, les privatisations.
L’innovation
technologique est responsable du développement des échanges
financiers automatisés à très grande vitesse, qui ont accru
l'écart des prix affichés entre les cours des bourses et les
fondamentaux de l’économie. La mondialisation capitaliste a
facilité l’expansion des banques d'affaires et leur globalisation
à l’échelle internationale. Revenons sur la banque Goldman Sachs
(GS) qui qualifiait dans ses murs les opérations boursières qui
sont à l'origine de la « crise » de « casse du
siècle ». J’avais baptisé cette « crise » dans
mon Guide
de la révolution non-violente*, de
« gigantesque escroquerie du XXIème siècle », alors que
les médias parlaient à l’époque de faillite virtuelle n’ayant
aucune incidence sur l’économie réelle. Depuis, nous avons
constaté la faillite de nos économies et des journalistes ont fait
leur travail.
Dans
les années 1990 Goldman Sachs
(GS) a recruté des mathématiciens qui ont créé des algorithmes
financiers pour piloter par ordinateur des ordres d'achat et de vente
à très grande vitesse sur les marchés boursiers. L'objectif :
gagner de l’argent par tous les moyens, en se livrant à la seule
spéculation financière, sans aucune moralité, sur tout ce qui s'achète et se vend. GS possède 30000 salariés et conseillers présents
dans le monde entier et des clients sélectionnés. Elle opère ses
transactions souvent à la frontière de la légalité et parfois
avec la complicité des gouvernements, celui de Bush fils par
exemple. Pour comprendre le phénomène « subprimes »,
rappelons quelques mécanismes bancaires. La banque exerce trois
fonctions principales. 1) Elle garde à l’abri l’argent et les
valeurs de ses clients. 2) Elle prête l’argent des épargnants
aux investisseurs ; c’est le marché primaire. 3) Quand la
demande de liquidités de ses clients dépasse ses réserves
d’argent, la banque revend sur le marché secondaire ses créances
(prêts) moyennant une part de ses bénéfices (escompte). 4) Une
dernière activité bancaire nuisible sur le plan social à laquelle
se livrent les banques d’affaires, est la spéculation financière,
qui détourne l'argent de l'investissement productif (immobilier,
outils de travail) en détruisant les emplois et augmentant la
pauvreté. Elle peut – par exemple - provoquer la rareté
alimentaire en faisant monter les cours des céréales
artificiellement et provoquer des famines. Les « subprimes »
sont le fruit des pratiques 3 et 4.
Les
« subprimes » désignent des
emprunts risqués dont l’expansion commence en 2004 et se termine
mi-2007. Ce sont des prêts immobiliers accordés à des ménages
pauvres - principalement hispaniques et noirs américains - dont les
ressources étaient jugées très insuffisantes pour assurer le
remboursement de leur crédit. Les banques misaient sur la hausse de
la valeur de ces biens (inflation) et leur revente avec profit en cas
d’impayé ; ce qui a fonctionné un temps. La « crise »
commence en 2007 avec la ruine de 3 millions de foyers américains (7
millions finalement) qui ne pouvaient plus rembourser leur crédit
bancaire, et qui ont été pour beaucoup d’entre eux jetés à la
rue. Les faillites en chaîne augmentent les nombres de maisons à
vendre et font chuter les prix de l’immobilier. De ce fait, les
banques ne peuvent plus couvrir leurs prêts en revendant les
maisons, ni vendre les créances à d'autres banques pour trouver des
liquidités. Une crise du crédit commence et certaines banques sont
au bord de la faillite. C'est à ce moment que GS entre en scène en
trouvant une parade pour se débarrasser des créances bancaires
indésirables. Début 2007 GS créée un nouveau produit financier -
Abacus 2007 AC-1 (soutenu par les agences de notation américaines) -
qui est le fruit d’un mélange de créances risquées (CDS) et
moins risquées (CDO), le tout regroupé dans un même portefeuille
(titrisation) vendu par tranches à des investisseurs dans le monde
entier. A ce jeu GS a gagné des milliards pendant que certaines
banques porteuses d'Abacus ont été par la suite ruinées. De ce
fait, de nombreuses banques ont reçu de l’argent public américain
pour ne pas faire faillite. Incroyable mais vrai, GS qui a fait de
gros profits et non des pertes en vendant de l'Abacus, a reçu 13
milliards* de dollars grâce à Henry Paulson, son ex-président,
devenu le ministre des finances du Président Bush fils.
Effectivement, grâce à Henry Paulson l’État américain a
renfloué AIG, une des principales compagnies d’assurances
américaines, filiale de GS. Mais ce n’est pas tout, le même Henry
Paulson a refusé de venir en aide en 2008 à la banque Lehman
Brothers, principale concurrente de GS, qui, de ce fait, a disparu.
Les profits de GS au total se sont élevés à 17 milliards* de
dollars. Un autre Paulson - John Paulson celui-là- qui a participé
à l’élaboration d’Abacus a fait gagner à sa société Paulson
& Co, un milliard de dollars.
L'autorité
boursière américaine la SEC
(Securities and Exchange Commission) déposait en avril 2010 une
plainte pour « fraude » à l'encontre de la banque
d'affaires la plus célèbre au monde. Vengeance interne ou pure
provocation, GS a rendu publics des courriels compromettants de l’un
de ses principaux agents le Français Fabrice Tourre (centralien de
27 ans au moment des faits), qui s’est retrouvé le seul inquiété
par la justice américaine sans être condamné. Pourtant, à la
mi-juillet 2010, GS a payé au Trésor américain 550 millions de
dollars pour faire retirer la plainte de la SEC. Une plaisanterie au
regard des bénéfices encaissés par GS et ses acolytes. Le
gouvernement Obama n'a pas réussi à faire plier les banques parce
que - comme nous l'apprend le documentaire d’Arte - six
personnalités politiques issues de la banque GS sont à des postes
clés de l’administration Obama. De plus, Obama n’a pas le Congrès
dans sa poche pour mener les réformes de la finance. Afin de
redresser l’économie américaine, Obama n’a pas même réussi à
recevoir la contribution qu’il demandait aux treize principaux
banquiers américains qui ont renoué avec d’insolents bénéfices.
Le petit contribuable américain n’a pas fini de payer les
retombées du « casse ».
En
2009 le « casse » s’étend à l’Europe.
Les États européens viennent en aide aux banques en difficulté. La
Banque privée allemande IKB – par exemple - qui possède des parts
Abacus, perd 150 millions* de dollars et ruine de nombreux petits
épargnants. Elle est nationalisée. Les sommes versées aux banques
en difficulté creusent l’endettement des États européens. GS
envoie ses hommes dans le pays le plus touché par la crise - la
Grèce - avec pour mission de faire baisser artificiellement sa dette
qui atteint 100% de son PIB pour 60% autorisé. Par un tour de
passe-passe (échange de swaps**) 4 milliards* de dollars sont effacés
temporairement de l’ardoise. GS empoche 600 millions de dollars
d’honoraires payés par le contribuable. Le documentaire d’Arte
montre qu’Eurostat qui a en charge le contrôle de la comptabilité
des États européens, et Christine Lagarde qui préside le FMI,
n'ont rien décelé de frauduleux dans le maquillage de la dette
grecque. Autre conséquence de « la crise des dettes
souveraines de la zone euro », la banque
franco-belge-luxembourgeoise Dexia - renflouée en 2008 après la
« crise des subprimes » - possède 115 milliards*
de dollars d’actifs toxiques en pleine crise (15,6 en 2012). Dexia n’a pas résisté à la baisse
de sa note par l’agence américaine Moody’s. La branche française
Dexia crédit local (DCL), spécialisée dans le financement du
secteur public, qui avait fusionné avec une banque belge en 1996,
est en cours de démantèlement. C'est la crise du crédit pour les
collectivités françaises. En 2011 l’Organisation internationale
du travail évaluait à 200 millions le nombre de chômeurs dans le
monde, dont 22,71 millions d’Européens. C’est ainsi qu’au
printemps 2011 a éclaté la colère de la société civile mondiale
avec les « indignés », qui a commencé en Espagne, le
pays le plus touché par le chômage en Europe, avant de gagner la
Grèce, l’Italie, Israël, le Royaume-Uni et les États-Unis où le
quartier d’affaires de Wall Street a été bloqué par les
manifestants fin septembre 2011. En octobre 2011 des manifestations
se sont tenues dans 82 pays, les manifestants scandaient « Tous
unis pour un changement global ! ».
Le
« casse » des subprimes ne suffisait pas :
en 2008 les spéculateurs ont provoqué artificiellement la rareté
alimentaire et les prix des céréales se sont envolés et ont
déclenché des émeutes de la faim dans les pays pauvres. Dans ma
lettre adressée au Président Obama en juin dernier, je montre la
corrélation entre les courbes de l’augmentation du prix des
céréales et l’augmentation de la faim dans le monde. Qui spécule
sur les céréales ? Vous avez la réponse. La baisse de la
consommation, ajoutée à la rareté du crédit bancaire, a ralenti
l’économie, augmenté le chômage, et provoqué des crises
politiques. Les peuples acculés ont protesté, des gouvernements
sont tombés. La peur de la mondialisation provoque un repli
identitaire, augmente le nationalisme et la « droitisation »
des partis politiques, les partis d’extrême droite s’affirment
comme après la « crise » de 1929. Le tout intervient sur
une planète malade du réchauffement climatique, où la
désertification avance, où l’eau se fait rare pour les paysans du
Sud, alors que les crises alimentaires en Afrique surviennent dans un
contexte de production céréalière record (de quoi nourrir 13
milliards de personnes), selon l’Organisation des Nations Unies
pour l’alimentation et l’agriculture.
Mario
Draghi, ex-vice-président européen de GS
(2002-2005), impliqué dans les swaps** de la dette grecque, a été
élu en
juin 2012
à
la tête de la Banque centrale européenne par le Conseil européen.
Non ! GS ne dirige pas pour autant le monde ; une
gigantesque panne informatique ou un simple virus la réduirait à
néant. Le vide juridique entretenu par nos gouvernements de droite
comme de gauche est également en cause. Une sérieuse crise morale
de nos représentants politiques et des peuples qui les maintiennent
au pouvoir paralyse la démocratie. Volonté délibérée de se tirer
une balle dans le pied, faiblesse morale ou incompétences de nos
élus, aucune loi n’est prévue pour lutter contre les fléaux
énumérés. De plus, les gains financiers sont moins imposés que
les revenus honnêtes, à croire que les politiques encouragent les
criminels à tout démolir. On inventera peut-être une autre
civilisation quand le ver aura dévoré tout le fruit. Le Guide
de la révolution non-violente*
donne des solutions pour devenir un citoyen responsable et mon
prochain livre s’intéressera aux institutions.
Notes : *Chiffre trouvé en euros converti avec un coefficient de 1,3$=1€ ; **swap en devises par
lequel on échange des taux d'intérêt à moyen ou long terme
libellés dans deux devises différentes.
Remarque : Les chiffres ont été mis à jour par rapport à la première édition papier distribuée.
Remarque : Les chiffres ont été mis à jour par rapport à la première édition papier distribuée.
Sources
:
documentaire de la chaîne Arte (franco-allemande),
diffusé le 4 septembre 2012,
« Goldman
Sachs, la banque qui dirige le monde »
de J. Fritel et M. Roche, 2012 ; fao.org ;
Le Monde.fr ; Echos.fr ;
lefigaro.fr ; Bilan
du Monde,
éd. Le Monde, 2012 ; revue Sciences
Humaines,
trimestriel n°2,
La
criminalité internationale,
2006 ; Guide
de la révolution non-violente,
Jean-Paul Alonso, 2008 ISBN 9782952513913.